Daphné, un court métrage expérimental qui interroge le choix

Inspiration inconsciente, archétype et mythologie.

Au départ, il y a le livre des Métamorphoses d’Ovide.

Depuis petite, je suis fascinée par la mythologie gréco-romaine, la faute à ma maman. Elle a d’ailleurs donné à ses trois filles des prénoms grecs. Si on m’a raconté beaucoup d’histoires quand j’étais petite, celles de la mythologie ne m’ont pas quittée, et je lis toujours avec plaisir ces contes qui expliquent l’inexplicable, donnent du sens, font rêver.

Quand on lit des contes mythologiques, ou n’importe quelle histoire, d’ailleurs, certaines choses font écho, nous font réagir, s’accroche à notre imaginaire pendant des jours, des semaines, voire comme pour Daphné et moi : des années !

Qu’est-ce qui m’a séduit dans ce conte ? Pourquoi ai-je besoin de le visualiser, de le rendre imagé, de travailler dessus ?

C’est l’écriture de mon histoire « Chair Royale » qui l’a déclenché. Quand j’ai travaillé sur les « femmes loups » les gens pendant l’exposition m’ont beaucoup parlé de « femmes qui courent avec les loups », que je n’avais pas lu. Pendant une résidence d’écriture sur « Chair Royale », les scénaristes m’ont parlé du mythe de Daphné. Et moi qui avais été bercée à la mythologie grecque, je ne connaissais pas l’histoire de Daphné. Ou peut-être que si ? Est-ce que toutes les histoires qu’on nous raconte sont stockées dans un coin de notre mémoire et ressortent d’une manière ou d’une autre sous forme de création ?

En tous les cas, quand j’ai relu cette histoire de femme, chasseresse, qui passe son temps à courir dans la nature et qui préfère se changer en arbre plutôt que d’appartenir à un homme (quand bien même c’est Appolon). J’ai été perturbée par ce choix : elle qui est dans le mouvement continu, qui attaque, court, vit à cent à l’heure, elle préfère l’immobilisme du végétal.

À la première lecture, je ne vous cache pas que j’ai totalement rejeté cette ressemblance. Quoi ? On assimile mon histoire à celle d’une femme qui abandonne la partie, qui renonce à se battre ? Moi qui tiens à faire des personnages féminins « forts », qui ai fait un dessin qui fustige le viol qui a fait le tour du monde. Allez, Daphné, réveille-toi ! Comme dans les films américains où l’héroïne femme au foyer se révèle être excellente au tir à la carabine ou à la bagarre, la vengeance face à l’homme agresseur, qui se reprend en pleine face la violence et l’oppression qu’il a initiée. Oh oui, on a envie de ça dans les films, que la femme à terre se relève, pif paf ! Et qu’en quelques claques elle vive sa vie de femme forte.

Pourtant, cette histoire de femme qui se change en arbre ne m’a pas quittée. Jour après jour je me disais : c’est nul, je ne vois pas pourquoi Daphné serait un exemple pour moi ou pour d’autres, comment elle a pu être aussi une référence pour d’autres générations (si tel a été le cas).

J’ai appris bien plus tard que la période gréco-romaine était loin d’être idéale pour les femmes, Titiou Lecoq en parle drôlement bien dans « Les grandes oubliées - Pourquoi l’Histoire a effacé les femmes » à l’époque, on trouvait que les femmes étaient des hommes ratés. Mais il y avait des divinités féminines, et une puissance qui n’a été annihilée que bien plus tard.

En tout cas, je me suis plongée dans ce mythe, je m’interrogeais : pourquoi il me touche tant et qu’est-ce qui me plaît dans cette métamorphose ?

Il faut savoir qu’un processus créatif est long et quand j’ai commencé à écrire « Chair Royale », je voulais en faire un court métrage, une fiction fantastique « légère ». Je ne voulais pas me prendre la tête avec des symboles ou des sous-entendus. Mais peut-on vraiment créer des histoires sans cela ?

Comme la création du film s’enlisait, que je remplissais des dossiers et que je n’avais pas de réponses positives des financeurs, j’ai décidé d’explorer une autre facette de l’histoire, cette métamorphose tout simplement, sans autre narration. Simplement cette métamorphose. Et en fait, comme d’habitude, « juste ça» ça m’a pris 4 ans. Peut-être qu’avec l’âge je vais apprendre que les projets sortent quand ils veulent sortir et qu’ils prennent le temps qu’il leur faut; j’ai toujours une forme d’impatience, je veux faire, agir, créer, tourner. Et pourtant, inconsciemment, je les oblige à ralentir, je leur dis : attends, tu ne vas pas être joli si tu sors maintenant, demandons son avis à untel et voyons ce qu’il en pense. « Untel » étant, une institution reconnue, la Région, le département, le CNC, oui, j’ai encore fait cette erreur avec « Daphné » !

Quand vais-je comprendre qu’il ne faut pas attendre des institutions qu’elles me donnent l’autorisation de créer ? L’histoire de la création de ce film en est toute l’illustration. Il faut créer, agir par soi-même pour enraciner ses choix, devenir qui on est.

Car en vérité, Daphné s’est révélée bien plus féministe que ce que j’avais perçu au premier abord.

Pour moi, ça s’est révélé au fur et à mesure, mais Daphné est simplement l’illustration de quelqu’un qui fait ses choix et qui les assume.

Faire un film d’animation prend du temps et on travaille image par image, c’est peut-être pour cela qu’il m’a fallu du temps pour comprendre. Haha ! Mais oui c’est vraiment de cela qu’il s’agit.

Dans les premières versions du film, c’était une chorégraphie orchestrée entre Daphné et Apolon (XXX image extrait du storyboard version duo)

Une illustration pure et dure du mythe, mais en version dansée.

Dans mes pérégrinations pour trouver des financements pour le film, j’ai déposé une demande de résidence à Fées d’Hiver à Crévoux. Et c’est bien là la seule « institution » qui est valable à mon avis : celle qui te permet de créer sans émettre d’avis. La résidence n’est pas soumise à condition de rendu, personne ne te dit quoi faire, et ça, c’est vraiment constructif. Je ne remercierai jamais assez Erik Lorré, qui a mis en place cette résidence de nous avoir accueillies pour travailler sur Daphné. Et d’avoir été patient. Car nous sommes retournés trois fois en résidence pour avancer chaque fois un peu plus sur le film. Sans jugement.

Gaëlle Gourvennec, mon amie de toujours, ma muse poétesse, a bien voulu jouer Daphné pour moi, pendant quatre ans, haha ! Résidence après résidence, elle enfilait les poignets de force que j’avais cousus pour le personnage et devenait Daphné, combative, inspirée par les Dieux, et capable de se changer en arbre. C’est incroyable, mais devant mes yeux et l’oeil de la caméra, je lui dis « maintenant, une branche te pousse sur la main » et effectivement une branche lui pousse sur la main. C’est à l’animation que le processus se révèle, comme un procédé photographique, qui permet de voir ce qui se joue, comme un révélateur de l’imaginaire. Elle est vraiment super forte.

Bien sûr nous en avons discuté pendant des heures avec Gaëlle, mais le thème du film s’est vraiment affirmé au fur et à mesure; celui d’être une femme qui assume ses choix, et qui s’épanouit dans une autre voix que celui où on l’attendait.

C’est pour cela qu’il n’y a pas d’Apolon à l’image. Pas seulement parce que ça m’embêtait d’embarquer un homme sur le tournage, dans ces résidences qui sont des moments d’introspection hors du monde et du temps. Ce sont des moments très intenses et qu’il faut vivre avec des personnes de confiance. Apolon ne s’est pas révélé nécessaire au moment de la création, désolée mon gars. Parce qu’en fait, Daphné n’est en prise qu’avec elle-même. C’est ce qui est important dans le film que je raconte. Peu importe les séductions extérieures, les aventures, les trophées de chasse, les épreuves de la vie, tout ce qui se passe à l’image est à l’épreuve de son questionnement, à l’assurance de son choix. Elle questionne en dansant, tente de fuir, se débat, mais au final se pose dans la plus belle des clairières pour prendre racine et s’élever en arbre.

Si dans « Chair Royale », le personnage d’Elsa-Ortie est en prise avec la tradition et la société, « Daphné », elle, ne fait ses choix que par rapport à elle-même. Et ma foi, travailler « juste » sur soi, c’est déjà pas mal; c’est même le plus difficile et l’objectif ultime de pas mal de monde « se trouver soi-même ».

« Bien heureux celui qui a fait dix fois le tour du monde, plus heureux encore celui qui a fait une fois le tour de lui-même ».

La fierté d’être soi.

Voilà pourquoi, un film de cinq petites minutes met autant de temps à s’écrire et à se réaliser.

On ne peut pas trouver en peu de temps qui on est ou ce qu’un personnage veut. Comme dans tous les projets, il faut du temps pour maturer les idées, assumer les thèmes qu’on pensait éloignés de soi, et les décortiquer. Créer est une thérapie, une introspection, mais c’est aussi quelque chose qu’on partage au monde, et qui est porteur de sens.

Est-ce que ce thème vous parle ? Est-ce cela que vous aviez perçu au visionnage du film ? Sinon, pourquoi vous a-t-il touché ? Peut-être vous faudra-t-il quelques années pour me donner une réponse, ou simplement quelques minutes. Peut-être que vous pensez qu’il ne vous touche pas et que la graine va germer dans le temps dans votre esprit et que vous repenserez à cette femme qui préfère se changer en arbre plutôt que de vivre une vie qu’elle n’a pas voulue ? Et vous, préféreriez-vous vous changer en arbre à certains moments ?

L’histoire derrière le film

 

J’ai commencé ce projet de court métrage à la suite des premiers scénarios de “Chair Royale” (lien XXXX), qui n’aboutissaient pas et dont je voyais bien que le montage allait prendre des années. Et je me suis dit, naïvement : ça va aller plus vite de le faire en prise de vue réelle. Je vais “juste” filmer la métamorphose, sans contexte, faire un film corporel, instinctif et ça va aller vite. C’était en 2016. Cinq ans plus tard, trois résidences à Fées d’Hiver et plusieurs versions de prise de vue, le film n’est toujours pas terminé ! Il faut dire que j’ai fait l’erreur, encore, de vouloir financer le projet, et donc, de faire des dossiers de demande de subvention. Je n’ai jamais été forte à ça. Et quand on n’est pas fort dans un truc, on peut s’améliorer peut-être, mais lentement. Force est de constater que mon évolution ne va pas assez vite à mon goût, 15 ans de progrès en notes d’intention, dossiers et refus non argumentés, j’en ai assez d’attendre que quelqu’un (ou quelque chose, on ne sait jamais, peut-être que les aides sont attribuées à pile ou face ?) valide et autorise mes films à exister.

Ces refus sont toujours frustrants et mettent en doute mes motivations. Pourtant, quand je commence un projet, il y a une étincelle qui est là et qui mérite d’exister, quoi qu’on en dise, quoi qu’on en pense. Pas mieux ou moins bien qu’une autre, simplement pas présentée comme il faudrait.

Heureusement que j’ai une amie précieuse qui me motive toujours à aller de l’avant. Et ce n’est pas juste un conseil qu’elle pourrait faire par téléphone “finis le ce film et comme ça tu pourras passer à autre chose”. Non, pour me donner les moyens de le faire, elle traverse les frontières, parcours des centaines de kilomètres, danse dans la montagne, se jette dans l’eau glacée de la rivière… Gaëlle Gourvennec donne de sa personne pour que ce film existe. On l’a conçu ensemble, celui-ci, comme “Phobo” XXX et “Pluie de mon intérieur” XXX.

Mood board

 

Daphné est dans la lignée du court métrage Phobo XXX lien, mais il est aussi issu d’une longue recherche graphique en silhouette, et du théâtre d’ombre que j’affectionne et sur lequel je travaille en papier découpé.

Je travaille donc sur le contraste, sur des silhouettes expressives. Si c’était déjà clair au tournage, ce n’est qu’au moment du montage que j’ai poussé à fond ce choix en passant au noir et blanc. Tout pour que la silhouette passe en premier, la couleur est souvent synonyme de parasite pour moi, car elle exprime à elle seule beaucoup de choses. Et puis cela laisse plus de place au dessin au trait blanc.

Les inspirations des poteries grecques XXX images tout simplement.

Montage

 

Avec quelque 45 minutes de rushes, je me suis retrouvée un peu déboussolée. Je n’ai pas l’habitude de manipuler toute cette matière, et ça m’a fait peur, j’avoue. J’ai laissé dormir tout ça pendant des mois. Et puis un jour j’ai eu encore plus peur que le film m’échappe. Qu’est-ce qui pourrait être pire que d’avoir un film raté ? Pas de film du tout. Il fallait que je le fasse, même si j’avais une pression de dingue : toutes ces années de tournage, l’envie de faire un film exceptionnel : bonjour la pression ! À un moment, comme dit Gaëlle, il faut juste finir ce qu’on a commencé et passer à autre chose.

Je le sais pourtant, sur tous les process de création, il vaut mieux “fait que parfait”, on peut toujours corriger une première version, mais pas un truc qui reste dans la tête.

Alors je me suis enfermée plusieurs jours, avec la ferme intention d’en découdre. J’avoue, j’ai même fait une sorte de méditation avant de m’y mettre, il fallait que je sois “en transe”, pour lâcher-prise. Je sais que je peux donner l’impression que je suis prolifique, que je fais plein de choses, mais la vérité c’est qu’à chaque fois que je commence, je suis terrorisée.

Mais bon, c’est parti et au final ça a été assez facile. Les images s’enchaînaient toutes seules, bien sûr ! J’aurais dû avoir confiance, parce qu’en fait, j’avais déjà sûrement fait le montage inconsciemment depuis longtemps. Et je me suis retrouvée avec 5 minutes de film tout pile.

Musique

 

Pour la musique, j’avais besoin d’une création organique, spontanée autant que le processus créatif du film. C’est Aëla Gourvennec qui est venue en résidence à Crévoux qui a composé avec les éléments naturels et l’inspiration qui lui est venue sur le moment.

En référence, j’avais des tambours de méditations, sur lesquels nous avons travaillé avec Gaëlle pour la chorégraphie et les tournages. Si je me défendais alors d’avoir une quelconque affinité religieuse, il faut bien avouer que je cherchais pour Daphné une connexion spirituelle. Quelque chose qui n’est pas de l’ordre du calculé, mais plutôt un lien avec le divin. Ce n’est que bien plus tard que je comprends ça. C’est sans doute aussi l’étude de la méthode “libérez votre créativité” (XXX lien) de Julia Cameron qui m’a permis de lâcher prise par rapport à ça.

Faire une playlist spotify avec musiques d’Aëla, et tambours de méditation)

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