Ma résidence dans les Pyrénées ou comment j’ai créé mon film sur l’ours

Je suis rentrée depuis quelques jours des Pyrénées où je suis partie un mois pour écrire mon prochain Film "les Mal-Aimés”… Je voulais te partager mon Journal de bord de réalisatrice…

Semaine 1 :

14 Août 

Aujourd’hui commence la résidence. Nous sommes hébergés à Fougaron, un village de 60 habitants, tout au bout de la route qui forme un cul-de-sac. Tout autour de nous, les montagnes, vertes, belles. De là où nous sommes, nous avons une vue dégagée sur les forêts, c'est ce qu'on voulait en choisissant le "gîte du Cap de Couret". On s'est dit que d’ici, en regardant par la fenêtre, on pourrait apercevoir des animaux, et peut-être, qui sait ? Celui pour lequel nous sommes venus ! 

J’ai commencé à écrire l’histoire il y a deux ans. Je ne connais rien aux ours bruns des Pyrénées, à part ce que j’en ai lu dans les livres et vu dans les documentaires. Nous avons déjà vu des ours en nature avec Pierre, mais c'était de l'autre côté de l’Atlantique, dans le parc de Forillon (au Canada). Et cela fait une énorme différence, comme nous ne tarderons pas à le découvrir.

Comme sur chacun de mes films “Les Mal-Aimés” je ne suis pas une spécialiste, je me rapproche alors de naturalistes, d’ONG spécialisées… et qui m’aident à mieux connaitre l’animal en question. Pour ce film, comme je n'y connaissais rien en matière d'ours, je me suis rapprochée du Pays de l’Ours pour pouvoir faire connaissance avec les naturalistes, faire des sorties découvertes et dessiner les décors du court métrage sur place. 

Allez - je vous emmène avec moi !

16 Août 

Dès les premiers jours, nous rencontrons l'équipe du Pays de l'Ours. Cette association a été créée par les communes pour valoriser la présence de l'ours dans les Pyrénées. C'est devenu le référent local en matière de défense des ours et de pédagogie vis-à-vis du grand public. 

Nous participons à la sortie "familiale" où un intervenant nous emmène en forêt et nous apprend plusieurs choses qui m'ont surprise : 

  • les ours sont principalement végétariens (ça leur arrive même de brouter)

  • les oursons pèsent 300g à la naissance et sont aussi gros qu'un poing. C'est minuscule ! 

  • tâchez de vous représenter un ours pyrénéen face à vous.  Vous l'imaginez forcément plus grand que ce qu'il n'est : à quatre pattes, il passe sous une table. 

Et bien sûr, la question que tout le monde se pose : que faut-il faire en cas de rencontre avec un ours ? 

La réponse est : rien. 

Contrairement aux sites américains qui préconisent bombes anti-ours, couteau à cran d'arrêt et grande prudence, l'ours pyrénéen n'est pas agressif. Il y a de fortes chances que vous ne le croisiez même pas… Car, il vous sent de loin et fera tout pour vous éviter. Si vous avez la chance d’en croiser un - il va simplement s'enfuir.

Sauf si :

  • il détecte une agressivité de votre part

  • ou si c'est une ourse avec ses oursons.


Dans les deux cas, il faut s'éloigner calmement.
L'humain n'est pas au menu de l'ours.
Ça reste une bête impressionnante de presque 200kg pour les mâles, mais après des siècles à être chassés et une urbanisation galopante, les ours pyrénéens sont devenus "civilisés".
Ou en tout cas, ils savent quoi faire en cas de rencontre avec les humains : fuir.
Mais vous, il vaut mieux ne pas fuir, même si c'est tentant. Ça pourrait devenir un signe d'agressivité. (un peu comme un chien se met à courser un facteur à vélo.)

Même si cette dernière information est intéressante pour la vie dans les Pyrénées, pour mon scénario, ça ne m'arrange pas du tout !

Dans ma première histoire, une ourse agressait un petit garçon pour protéger son ourson. Non seulement c'était peu probable, mais en plus, ça véhiculait une image négative des ours, alors que notre volonté est justement de rétablir la vérité sur l’ours.

J’en profite pour remercier Alain Reynes, le directeur de l'association Pays de l'Ours pour toutes ces précieuses informations délivrées lors de nos nombreux et longs échanges passionnants. (rendez vous sur lesmalaimes.fr pour voir son interview exclusive)

Je ressors donc de cette première formation émerveillée, mais perturbée dans mon processus créatif ! 



18 Août 

En parallèle de l’histoire et du scénario du film, je suis aussi ici pour développer l’univers graphique du Film.

Pour mes recherches graphiques, j’ai décidé de dessiner chaque jour le même point de vue de la montagne.

J’ai trouvé un spot idéal : à deux pas de mon camp de base, juste derrière l'église.
C'est très beau.
Mais la lumière et l'atmosphère changent tellement vite : je n'aurai pas assez d'une vie pour capter réellement l'essence de la montagne.

Note pour plus tard : cela ferait un bon sujet pour un peintre.
Mais je ne suis pas peintre.
Et même si c'est plaisant de passer du temps à dessiner les montagnes, mon objectif ici est d'avancer le plus possible le film, et si possible de repartir d’ici avec les décors finalisés.

19 Août - Randonnée Pic de Palombère

Quelle chance.

Notre première randonnée nous offre l’endroit idéal pour les décors du film.
Il y a une bergerie, de la forêt, une estive, et une vue magnifique.

J’en ai profité pour faire quelques prises de son d’ambiances (qui serviront pour le son du Film !)


Depuis, le départ Pierre me suggère d’utiliser des prises de vues réelles pour les décors : plus rapides, plus réalistes (et surtout, moins contraignant à dessiner).
C’est vrai que c’est superbe en photo alors pourquoi se compliquer la vie ?
Sauf que se pose alors la question de l’intégration. Autrement dit : comment intégrer du dessin sur de l’image réelle ?

Je laisse l’idée de côté.
Je me focalise d’abord sur le storyboard et après, pourquoi pas… On verra.
De toute façon, j’ai besoin de faire un maximum de photos pour mon stock d’images. 


Mine de rien, cette technique demanderait pas mal de boulot de photo montage ou alors de dessin d’intégration.
Je suis vraiment pas convaincue que ça me fasse gagner beaucoup de temps au final...

Mais quand même… L’idée est tentante.
Alors, je vais faire quelques essais sur les photos d’aujourd’hui.

Arrrrrrrrr !
Un autre pan de mon scénario s'effondre : il n'y aura pas cette brume mystérieuse qui aurait pu faire surgir un ours de derrière un rocher.
Décidément. Je n’ai pas fait le trajet pour rien…
Non parce que les décors sont trop beaux pour les cacher dans la brume

Bilan Semaine 1 : 

Ma première semaine ici a des allures de digital détox.
Même si on a accès à internet, je me sens en sevrage de mes lives Twitch, je ne vais pas sur les réseaux sociaux, et heu… ben c’est un peu dur je ne vais pas mentir !
J’ai d’ailleurs quelques réminiscences des confinements de 2020, et même si j’ai appelé de mes vœux cette résidence au calme, je … euh… comment dire. Mes amis et ma famille me manquent.

Je me demande pourquoi je ne fais pas de vue réelle 😕  


En 3 jours à peine, le film serait dans la boite.


Ah oui, j’oubliais.
Je me fais une préparation physique en marchant le plus possible parce que je fais une excursion d’une journée complète sur les traces de l’ours dans deux semaines. La montée s’annonce costaud et je n’ai pas envie d’être à l’arrière du troupeau à cracher mes poumons pour suivre les relevés des traces d’ours.
Du coup, je me suis perdue en forêt avec Joey aujourd’hui.
Il était plus flippé que moi (je n’étais déjà pas sereine). Je me suis emprisonnée de ronces dans ma robe, j’ai dû utiliser un couteau suisse pour m’en sortir ! Mac Gyver (c’est grâce à lui que j’ai un couteau suisse) a sauvé ma robe. 

Je suis venue ici pour l’ours, mais tous les matins, un milan royal survole le village. Il passe au ras des toitures, c’est magnifique. Je l'ai appelé Gaspard. 


Semaine 2 :

Documentation, à fond à fond ! 

Cette semaine, je continue de creuser le sujet de l’ours pour donner du corps à mon film et au scénario. Depuis le début, sur les films '“les Mal-Aimés”, nous prenons soin de vérifier chaque information, chaque action n’est pas sortie de notre imaginaire… J’attends donc beaucoup des échanges avec le Pays de l’Ours.

Et, je vais être servie avec Alain Reynes, directeur du Pays de l'Ours qui accepte de répondre à une longue interview de 45 min !
Ensemble, on démonte beaucoup de préjugés sur les ours et surtout, je lui soumets mon scénario. Pour savoir si mon histoire est plausible d’un point de vue scientifique, naturaliste…

Par exemple, je lui demande si un ours peut faire ci ou ça ?
Sa réponse en à la hauteur de la fascination que nous avons tous pour l’ours : “en fiction, tout est possible, mais il faut faire attention au message qui est véhiculé”.

En effet, si on parle d'attaque d'ours, on retiendra surtout que l'ours est dangereux, alors que ce n'est pas du tout ce que je veux dire. 

En échangeant, il évoque qu'un ours qui pourrait éventuellement avoir une petite interaction avec un humain, ce serait un subadulte qui aurait été orphelin assez tôt et qui devrait finir son éducation seul. Voilà qui est intéressant ! Je partirai donc sur un alter ego ursin de mon personnage de petit garçon geek :-)

En plus, cet ours pourrait vraiment exister, en ce moment puisqu'un chasseur a tué une mère ourse et laissé deux oursons se débrouiller seuls. C'est pile dans l'actualité. 

une interview à découvrir sur lesmalaimes.fr

Alain m'a aussi ouvert le centre de documentation du Pays de l'Ours en me partageant ses coups de cœur sur certains ouvrages, qu'il connait tous! Je m'imprègne de tous les renseignements qu'il peut me donner et de toutes les images que je peux voir. Il y a de très beaux ouvrages. Mon préféré est un beau livre de Jean-Jacques Camarra avec de grandes photos. Il y a même une animation d'ourson qui court ! J'ai maintenant de la matière pour inspirer mon personnage d'ourson.


Une nouvelle sortie d'observation autour d'Arbas et une discussion avec Adrien, animateur naturaliste, me confortent dans l'idée que faire un film pour le jeune public est important.

Adrien est guide au Pays de l'Ours depuis 7 ans.
Toutes les deux semaines, il va faire des relevés dans une partie de la montagne abrupte, où passent de temps en temps les ours... eh bien il n'en a pour autant jamais vu ! 

Mais ça ne l'empêche pas de parler avec passion de l'animal et de sentir l'amertume des actions violentes qu'ont parfois les opposants à l'ours.
Il ne peut pas mettre l'autocollant "pays de l'ours" sur sa voiture, au risque de se faire crever les pneus.
Il raconte les blocages des autoroutes par quelques opposants avec des tracteurs... qu'est-ce qu'on peut faire face à ça ? Tout le monde est obligé d'attendre, on ne peut pas envoyer l'armée pour les déloger.
Je comprends son sentiment d'injustice. 

Selon Alain, il y a beaucoup plus de personnes qui aiment l'ours, qui sont favorables à son développement dans les Pyrénées, y compris des bergers et des agriculteurs.
Seulement une poignée seraient contre et dangereux.
Peut-être une centaine, mais ça suffit pour faire du bruit et créer un déséquilibre. 

Alors, c'est comme tout.
Quand on n'est ni pour, ni contre, on laisse la voix à ceux qui imposent leur volonté par la force et les armes.
Pour ne pas avoir d'ennui, il y a une omerta qui se tisse dans les villages où tout se sait.

À notre arrivée, on nous a dit qu'il ne fallait pas trop dire pourquoi on était là. L'ours est un sujet "fusible".
Du coup, on a l'impression qu'on ne peut pas dire qu'on est pour. C'est pour ça que c'est important d'adhérer à des associations de défense de la biodiversité. Sans forcément entrer dans des discussions houleuses, montrer son soutien en étant adhérent permet d'avoir plus de poids auprès des autorités et une reconnaissance auprès du grand public. 

-> Retrouvez l'interview d'Alain Reynes, le directeur du Pays de l'Ours sur www.lesmalaimes.fr

Bilan de la deuxième semaine 

C'est le brainstorming permanent.
Je réfléchis en marchant dans la forêt.
Mon scénario a volé en éclat, mais pour son bien.
Et mes recherches graphiques ne me plaisent pas vraiment; la montagne est si belle ! 

C’est au téléphone avec mon amie Ana Dess, que j’ai un déclic.
Elle me rappelle que je lui avais réalisé un pantin de papier à son effigie qu'elle avait emmené dans son voyage en Islande; les photos étaient très belles et mettaient en valeur le paysage.

Mais oui, bien sûr !
Des pantins en papier !!!!

C'est mon dada, j'en avais fait pour d'autres projets aussi (et notamment Varicelle, ce clip pour les Ogres de Barbak).
J'aime le contraste entre le papier, tout simple et les paysages.

OK !
Mais je n'avais pas du tout prévu ça !
Je n'ai aucun matériel avec moi et la première boutique est à 30 min de voiture.

C'est décidé, il va falloir (argh ! ) retourner à la ville au bout de deux semaines d'immersion en Nature. 

Voici ma liste de courses : 

  • Papier Canson épais blanc - noir

  • Pics à brochette

  • Peinture noire

  • Peinture fluo.

  • Peinture ou feutres de la palette ?

  • Pinceaux

  • Pâte à fixe

  • Scotch

  • Colle bâton, colle liquide

  • Exacto

  • Planche à découper

  • Pistocole (facultatif)

Ouf ! J'ai presque tout trouvé.
Mais après une excursion d’une journée à la “ville” - je suis contente de retrouver le calme de mon gîte. 

St Girons, c'est l'eldorado des alternos. Le seul marché où tu peux acheter des panneaux solaires pour l'autonomie et juste après, décrypter ton aura avec lecture de chakras. 

Bon, mais Pierre a eu des informations sur le meurtre de l’ourse de novembre 2021 en faisant nos courses à la Biocoop. 

Une des vendeuses ne croit pas à l’hypothèse de la chasse au sanglier qui aurait mal tourné. Il n’y a pas de sanglier dans les hauteurs où l’ourse a été abattue. Il est plus probable que les deux personnes aient sciemment cherché à chasser l’ours. Pour cela, il y a enquête et ils sont en garde à vue ce weekend ! La préfète ne veut pas laisser passer ce crime.

En tout cas, en Ariège, c’est nettement plus tendu que là où on est. Où il n’y a pas d’ours.

Je marche deux heures tous les jours, Joey est fin heureux, même s'il se remet d'une blessure à la patte pour laquelle il faut lui faire des soins tous les jours ! 

J’ai vu un crapaud épineux dans la forêt, et une grenouille que je n’ai pas bien identifiée dans le jardin ! Une chouette hulotte pousse ses doux cris tous les soirs dans le clocher à côté de la maison.

J’ai l’impression d’être immergée dans mes films pendant ce séjour !

Semaine 3 :

Maintenant ça ne rigole plus. Il faut de l'action, il faut du concret. Il faut faire taire les petites voix méchantes qui disent que de toute façon, ça sera nul. Elles seront toujours là, de toute façon, et j'ai appris à ne plus les écouter. Parce que ce qui m'angoisse encore plus que de faire un film moche, ou raté, c'est ... de ne pas le faire.

Il faut faire avec les règles du jeu que je me suis fixées en début d'année : tourner les images des quatre courts métrages pour le programme des Mal-Aimés en un an (alors que j’ai réalisé les 4 premiers films en 5 ans !).
C’est certain, ils pourront être mille fois mieux dans mille ans, mais je n'ai pas la patience (et encore moins les moyens d'attendre :-)

ALORS, il y a un autre moyen de faire taire les petites voix angoissantes et j'ai nommé : les endorphines.
Et ça tombe bien, c'est le jour de la sortie scientifique "sur les traces des ours".

Adrien m'avait prévenue qu'il y avait 700 m de dénivelé, ce ne sont pas les promenades du chien au parc qui m’ont fait assez d’entraînement.
En montagne, il ne faut pas les mêmes jambes j'ai l'impression ! Je souffre et je souffle à la moindre colline, franchement, j'appréhende de me retrouver à la traîne. 

Je vous ai fait un VLOG pour vous emmener avec moi ! Je vous partage en image cette expérience - où je suis revenue avec un petit morceau d'ours...


Bon, si vous n'avez pas le temps de regarder la vidéo et que vous voulez savoir quelle partie de l'ours j'ai ramenée avec moi, sachez qu'il est dans une enveloppe, et parti au laboratoire.
C’est….. : un POIL !
Oui, un véritable poil d'ours qu'on a trouvé sur un des "pièges à poils". C'est pas grand chose, mais ça rend concret cet animal : il a marché sur les mêmes sentiers que moi ! et ce n'est pas rien. 

Pendant la balade, on a beaucoup parlé des ours, des bergers, des chasseurs, des suivis scientifiques, des préjugés sur l'ours; on a relevé les cartes pièges vidéos, et j'ai rencontré d'autres passionnés de nature et de ce mammifère. 

C'est la tête bien pleine d'images de  nature, le cœur rempli de passion pour l'ours et les mollets affutés par le dénivelé que j'attaque la partie fabrication du court métrage.

J’ai dépassé la moitié de mon séjour dans les Pyrénées, et puisque j'ai choisi de faire des pantins en papier, maintenant : il faut passer à l'action !

Go Go Go !!!  

Avant de ma lancer dans le grand bain et de crier victoire, je fais des tests couleur avec la jolie peinture achetée et qui m'a coûté une fortuuuuuuune.
C'est beau, à n'en pas douter, mais ça prend trop de temps.
Mes pantins doivent être fabriqués sous toutes les coutures, dans différentes positions, et je ne peux pas me permettre de leur donner de la couleur. De plus, le contraste blanc du papier/nature est plus intéressant que si les pantins étaient colorés.
La couleur passe inaperçu sur les fonds colorés de la nature.

Et puis, comme pour Lupin, ça m'intéressait de faire un film dans une technique que les enfants pourraient reproduire à la maison.

Il m’est arrivé, par le passé, de ne pas m’attarder sur des animations trop léchées.
En tant que technicienne chevronnée, j’ai tendance à voir les défauts de l’animation d’un film…
Mais, mes spectateurs s’en fichent totalement.
Ce qu’ils veulent, c’est pouvoir s’identifier, qu’on leur raconte une belle histoire.
(Et Pierre me le rappelle bien assez souvent !).

Je m’attèle donc, chaque jour à améliorer mon scénario, à bien penser mes dialogues, imaginer les scènes les plus efficaces possibles… pour proposer une expérience riche à mes bien-aimés spectateurs.

Comme d’habitude, j’espère que ça fonctionnera.

Mais de toute façon, on ne peut savoir si un film est réussi ou non que lorsqu’il est fini.

Peu importe les années qu’il a fallu pour le réaliser ou le prix qu’il a coûté. L’alchimie prend ou ne prend pas, et ça, c’est totalement hors de mon contrôle.

Tout ce que je peux faire, c’est me mettre au travail, au service de mes jeunes spectateurs curieux, jour après jour, et faire de mon mieux pour créer un film dont je sois fière.


Finalement, je suis toute contente de cette technique qui ne nécessite pas d’être assise toute la journée derrière un bureau, ou debout enfermée dans le noir face à mon banc-titre.

Je mesure ma chance de pouvoir travailler dehors, avec un smartphone qui tourne des images en 4K, qu’ils captent aussi bien les couleurs, que leurs lentilles permettent d’obtenir de jolis plans rapprochés sur mes pantins.


Et, je me dis que mon objectif de réaliser 4 films en 1 an est de plus en plus réalisable !

Sur la réalisation, j’ai fait des choix forts.
Avoir un cadre mouvant en animation, ça ne se fait pas. Mais, là je m’accorde le droit de donner du mouvement à mes personnages.
Là, le cadre bouge plus que les personnages haha ! C’est ironique, mais ça apporte de la vie à mes pantins de papier.
C’est un film d’action, non ?!

Je te partage ici quelques images de la famille marchant dans la forêt.

Semaine 4 :

Les choix sont faits, les lieux de tournages ont été repérés lors de randonnées, il n’y a plus qu’à partir avec un téléphone chargé, mes pantins et de la patafix!

(Et ne pas en oublier un sur place, comme ça m’est arrivé lors des tests… J’ai oublié l’ourson ! J’ai du marcher 1h pour aller le récupérer. J’aurais eu plus vite fait d’en refaire un mais j’avais laissé un bout de patafix dessus, ça m’aurait embêté que ça finisse dans l’estomac du crapaud épineux que j’ai vu juste à côté !)

Le début du mois de septembre n'arrive pas que pour la rentrée des classes. LA PLUIE s’invite également.
Et même si je voulais un peu de brume dans le film, pour renforcer l'aspect dramatique... la pluie, n'est pas bienvenue sur mes pantins en papier ! 


6 septembre

Maintenant que la technique est posée, je n’ai « plus qu’à » faire les pantins et tourner.
Pour ça, j’ai une liste de plans sur laquelle je m’appuie.
C’est le storyboard que j’ai réalisé dès la deuxième semaine de résidence…

Mais, le problème, c’est que :

  1. l’histoire a encore bougé entre temps.
    Et

  2. je n’ai pas fait le storyboard en entier.

C’est aussi ça, travailler seule.
À quoi ça sert de faire un storyboard quand tu as tout dans la tête ? Hein ? Je te le demande…

Bon.
Pour commencer, un storyboard permet de poser à plat toutes les idées et ne pas arriver le jour du tournage « à sec » à devoir improviser mouvements et mises en scène.
Note ici qu’avec la technique des pantins, il y a forcément plein de choses que je vais devoir improviser !

Ensuite, ton storyboard te permet aussi de savoir ce que tu dois fabriquer.

J’avais d’ailleurs imaginé en fabriquer le plus possible…
Et mine de rien, ça en fait déjà pas mal (il y en a 5 juste pour l’ours).

L’idée était de partir en tournage tous les jours de la semaine, pour pouvoir tourner le plus d’images, faire et refaire en dérushant le soir.
Finalement, j’ai opté pour la technique « batch ». Plus intense mais plus efficace.

De violents maux de crâne m’obligent à faire des pauses régulières et à regarder au loin.
Ça tombe bien, mon bureau a une jolie vue !

Mais entre les maux de tête et les maux de ventre, il ne faut pas s’y tromper : j’ai beau être dans un décor idyllique, à faire le job de mes rêves, dans une totale liberté, je suis putain de stressée !

Et ça, c’est vraiment le gros boulet de la créativité et de la productivité.

Je sais ! Je sais !
Faut que je sois plus indulgente avec moi-même…

Mais, il est vrai que je n’ai pas vraiment pris de jours de repos, à part les week-ends, depuis début mars.

Alors, même si ça fait un bien fou de changer d’air, il faut que j’apprenne à gérer mon stress, bordel !

L’un des éléments le plus stressant dans cette dernière ligne droite est le temps qu’il reste !
Le fait qu’il ne reste qu’une semaine avant de rentrer ne me rassure pas.

C’est pour cette raison que je me fixe l’objectif de réaliser un maximum de plans extérieurs avec les vues sur les Pyrénées (car, je ne pourrai pas les refaire, une fois rentrée !).

Quand je les aurai dans la boite, je pourrai souffler un peu.

Car, les plans rapprochés peuvent se faire de partout.

Je me rends aussi compte, en écrivant ces lignes que j’ai dessiné tous mes pantins entre hier et aujourd’hui, soit en 2 jours !
Mon corps est peut-être au maximum…

C’est d’ailleurs en rentrant de la randonnée du chien (oui, ici ce n’est pas la balade du soir, mais la randonnée, on met deux heures pour faire le tour du village dans la forêt ), que je me suis dit que je devrais un peu lâcher prise et remettre à plus tard le découpage du soir.

Malgré la fatigue, le stress… Je tiens quand même à faire ce compte rendu, jour après jour.
Non seulement, parce que ça m’aide à :

  • me rendre compte, des avancées dingues que je fais au quotidien (même si j’ai l’impression du contraire !)

  • relativiser sur mon métier (mine de rien, j’avance, un pas devant l’autre)

En effet, ça fait vingt ans que je fais des films, mais c’est toujours la même tâche immense à accomplir au début de chaque film.
Un truc qui te semble monstrueux à chaque fois, impossible à réaliser.

Mais ça va !
Rassure-toi.
Je ne changerais de métier pour rien au monde.



mercredi 7 septembre

Aujourd’hui, j’ai découpé et préinstallé les pantins.

ça m’a demandé une concentration de ouf pendant trop longtemps.

Avant de faire la pause chien, j’ai cru que je n’allais même pas pouvoir marcher deux pas, tellement j’étais épuisée, avec l’envie de vomir.

Je ne sais pas pourquoi je me mets dans cet état. Je suis dans les rupteurs.
Mais ce soir, en rangeant la vingtaine de pantins dans la pochette en carton, je me suis dit que j’avais bien bossé.
La récompense n’est pas toujours visible.
Là, elle l’est et ça fait du bien !

D’ailleurs.
Tu te souviens ?
Heureusement que je n’ai pas fait de couleurs, hein ?
J’y serais encore et je n’y serais simplement pas arrivée. (Ou alors il aurait fallu rester quinze jours de plus !).

Autre réaction intéressante, malgré la fatigue : j’ai ressentie l’excitation du tournage de demain.
Je ne me mets pas la pression… Je vais tester des choses, et je ne sais pas si ça va marcher, mais je vais faire de mon mieux, et je le sens bien.

Demain, va être une belle journée.

Bon.
S’il pleut, je suis cuite, tous mes pantins sont fichus, et je peux tout recommencer ou tout mettre à la poubelle.
Mais ce soir, je n’ai pas envie de penser à ce qui pourrait arriver de pire.
J’espère ce qu’il y aura de mieux.

jeudi 8 septembre : TOURNAGE

J’avais prévu de partir à 10h.
Mais, on reporte le départ à 13h pour s’épargner de porter les piqueniques.
Ça me permet de me préparer psychologiquement, de revoir une fois le storyboard et de faire une liste des plans à tourner en priorité.

Pierre m’aide beaucoup sur le “plateau” : il filme des plans de son côté, alors que je pensais me débrouiller seule pendant que j’en tourne d’autres.
On gagne un temps fou.

Il filme également pendant que j’agite les marionnettes, il me trouve des solutions pour faire des travellings, il suggère des plans et même tourne un plan seul. (Et il en est fier.)

Bon.
Tout n’est pas rose non plus.
Il y a 40 min de grimpette dans la forêt avant d’arriver au premier lieu de tournage.
Au lieu d’y retrouver le joli ruisseau que j’avais repéré la dernière fois, il n’y a plus d’eau,
Et….
D’énormes vaches avec cloches s’approchent de plus en plus de nous. :scream:
On peut dire que j’ai tourné mes scènes vite vite !
Pierre n’est pas du tout inquiet, et prend un bâton pour faire éloigner les vaches. Quelle drôle d’idée ! :scream: :scream:

Plus haut sur l’estive, il y a le petit coin rocheux que j’avais repéré pour “la rencontre” (la scène la plus importante de mon film !).


Le problème, c’est que le temps se gâte au fur et à mesure que l’on grimpe.

À la base, c’est vrai, je voulais un temps brumeux, mais j’aurais tellement regretté de ne pas voir les paysages !

En gros, j’aurais pu tourner n’importe où avec de la brume. Ça n’avait aucun intérêt.

Pierre en profite pour réaliser des timelapses de ciels nuageux, tourne des paysages, qu’on pourra intercaler dans le montage et qui serviront d’images de transition entre les plans, d’habillages….

C’est à ce moment précis, qu’il a - à son tour - risqué sa vie pour le Film !

Pendant le shooting du timelapse de nuages, il a aperçu deux patous qui se sont mis à lui aboyer dessus.
Les patous, pour ceux qui ne connaissent pas, ce sont d’énormes chiens blancs qui protègent les troupeaux. Les seuls bêtes capables d’effaroucher un ours, de mettre la misère à un loup !
Et pour être efficaces, ces chiens n’ont que très peu de contact avec l’humain.
Du coup, dès qu’ils aperçoivent quelque chose ou quelqu’un sur son champ de vision, il se met en mode défense offensive.

Autant te dire qu’on ne se fond pas dans le décor, avec nos petits pantins d’ourson et Joey qui fait la sieste avec son harnais fluo en nous attendant !
Bilan de l’opération : un nouveau remballage en vitesse, avec l’inquiétude de les voir s’approcher malgré tout et de compromettre la fin du tournage (et notamment les plans les plus importants).

Je veux absolument finir les derniers plans, mais sinon je serais rentrée.
Les Patous sont assez malins pour faire le grand tour du rocher derrière lequel on avait caché le chien !
Non je n’ai pas peur du grand méchant loup, mais du patou, oui, et Pierre encore plus que moi, si bien qu’il en a perdu ses lunettes en fuyant !


Un autre problème que je n’avais pas anticipé avec mes essais en forêt : le vent !
Avec de fines marionnettes de papier, c’est plus difficile à manipuler.
À vrai dire, c'est aussi bien la nature qui fait bouger les personnages :-)

Mon téléphone tombe en panne de batterie au bout de 5h de tournage presque non-stop.
Je filme mes images en 4K. (Enfin, pas toujours parce que mon téléphone me fait des blagues et se remet en HD). Et puis, pour les ralentis, ça ne fonctionne pas.
Heureusement, Pierre a le même que le mien, et les réglages sont vite faits (et les patous n’ont pas mangé son téléphone !)

Autre point d’amélioration : le rangement des pantins sur un tournage en extérieur !

Pour l’ours, ils sont placés avec de la patafix sur une feuille, et ça marche bien.
Mais les autres sont plus ou moins protégés par des pochettes plastiques, et à la fin, les marionnettes se retrouvent en tas dans la pochette !

Je n’ai pas l’impression que ça les a abîmés, mais, c’est quand même pas génial.
Pendant le transport, elles auraient pu se plier n’importe comment.

Et puis ç’aurait été plus pratique d’avoir une pochette qui se tient à la main plutôt que de devoir la ranger dans le sac à dos à chaque déplacement et changement de plan.
C’est clair qu’un sherpa qui gère le transport et porte tout, c’est pas du luxe dans ce genre de paysages !

Nous avions pris un pied de caméra, qui n’a servi à rien, sauf à filmer des images du making of.

C’était vraiment intense… et Pierre a peur que le making of dévoile à quel point ce tournage était roots ! Alors, peut-être que tu ne verras jamais ce making-of. (De toutes façons, nous n’avons aucune image de l’attaque des patous !)

C’est vers 20h, tout fourbus, qu’on redescend de l’estive.
Le timing fixé au départ est respecté.
En plus, les jours raccourcissant, il n’y avait presque plus de lumière sur le dernier set !

Le Bilan de la journée de tournage

24 séquences tournées en 6h.

Sur le chemin du retour, on se refait la journée.

Habituellement, après une telle journée de tournage, tu te couches, tu trouves du réconfort au chaud.
Là, il fallait redescendre à pied… puis en voiture.

Mais, malgré la fatigue, c’est le cœur léger et le sentiment du devoir accompli qu’on repart tranquillement au gîte.

En rentrant, on était cuits, mais heureux : on a fait un film en une journée !

C’est FOU.
Et, c’est presque vrai.

En tout cas, c’est la sensation que j’ai. Je me sens plus légère.
Et heureuse de cette résidence qui se termine par un film tourné !


10 septembre : Jour off.

C’est samedi normal, mais aujourd’hui, je ne veux même pas penser au film.

Je sais que je devrais revoir les images tournées jeudi. Qu’il faudrait que je vérifie les plans pour ne pas avoir de mauvaise surprise en rentrant.

Si jamais il y a un défaut majeur, je pourrais retourner des scènes.

Mais je fais l’autruche. Et si c’était si mauvais qu’il faille tout retourner ?

Parce que c’est beaucoup trop d’énergie ! Aussi parce que je voudrais me reposer quelques jours avant la « rentrée », où il y a beaucoup de stress avec la route retour, et les 3 autres films à penser, finaliser qui m’attendent !


Bilan de la résidence : 

Positif !
Très positif.
Bien sûr.

Surtout, je ne pensais pas revenir avec les images du film dans mes bagages.

Mes estimations les plus optimistes étaient de faire les décors sur la durée du séjour (1 mois).

Mais en étant coupée de toutes les autres distractions (avec très peu d'internet puisqu'on était limités à notre forfait 4G), et à force de balades inspirantes en forêt, j'ai pu amener le projet plus loin que je ne l’imaginais !

Faire un court métrage en un mois, c'est inespéré.

J'ai encore du boulot en rentrant, certes.

Mais c'est un mélange de fierté et de légèreté qui me ramènent à Valence.

En bonus, sur la route du retour, Aurélie Bonamy, mon amie monteuse (qui a réalisé le montage son de Lupin), me propose son aide pour monter le film ! 

Pour suivre la suite des aventures de mon Film “Qui a vu l’Ours”, c'est tous les jours en direct à 15h sur Twitch.tv et sur www.lesmalaimes.fr

Comme tu peux le constater, cette aventure m’a demandé beaucoup d’énergie.
Et, j’en ai mis aussi pour te la raconter.
(Je vois par exemple, que j’ai passé 15 heures à rédiger et illustrer cet article !).

Si ce type d’articles te plait, je te demande de prendre 1 minute pour me poster un commentaire.
Ça m’encourage à t’en partager d’autres.

Si tu veux me soutenir vraiment, tu peux parcourir ma boutique ou m’offrir un café !
Cela m’aide vraiment.

Par avance, merci beaucoup !


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