« Elle, Demeure »

La belle histoire de ce film est avant tout une rencontre avec l’artiste Ana Dess. C’est elle qui écrit et qui interprète la chanson. 

Nous nous sommes rencontrées quelques mois auparavant, alors que j’exposais mes « Femmes Loup ».

On a alors parlé loup, conte et art pendant longtemps et Ana Dess a terminé la conversation en disant « je crois qu’on va avoir encore plein de choses à se dire ». 

 
 

Un clip, une rencontre

 
 

Carte blanche

Et en effet, ça n’a pas manqué, dix ans après cette rencontre, nous travaillons encore ensemble sur divers projets, dont « Elle, Demeure » a été le premier ! 

À l’époque, j’aimais beaucoup réaliser des vidéoclips, car j’y voyais un espace d’expérimentation infini; 

À l’époque, il y avait encore de l’argent pour la création de ces films considérés comme des objets promotionnels pour les artistes. La fin de la « crise du disque ». (Aujourd’hui il n’y a plus de crise, puisqu’il n’y a plus de disque - mais donc plus d’argent non plus)

Toujours est-il que j’ai eu carte blanche (haha, bonne expression compte tenu de la technique du film) pour créer le clip de la part du producteur musical « Adélie Prod ».  C’est aussi le premier film qui sera produit par « Citron Bien ».

Hommage

La chanson est un hommage à une vieille dame qui a vécu de nombreuses histoires dans sa vie. Et je voulais retranscrire cette idée en illustrant sa vie comme un livre où les pages comme les anecdotes se succèdent et que l’on plonge à l’intérieur.

Mes inspirations

En cherchant l’inspiration avec cette idée, je suis tombée sur une expérimentation de l’étudiant de Portland Javan Ivey. XXXXX

C’est du stratastencil, une technique d’animation en papier découpé. Et comme j’aime particulièrement le papier et le travail de silhouettes, je me suis lancée. (Après avoir demandé l’autorisation à Javan Ivey d’utiliser à mon tour cette technique )

Cette technique était parfaite pour illustrer des tranches de vie ! On obtient des strates de feuilles, comme les traits des années quand on coupe un arbre.

Et des arbres coupés, il en faudra, malheureusement pour faire cette technique puisque ce sont quelque 1600 feuilles A4 qu’il a fallu découper à la main. 

(Mais le karma, c’est quelque chose, depuis j’ai planté plein d’arbres ! )

L’animation

 

Il s’agit de penser une animation qui puisse être lue dans la profondeur. Dit comme ça, c’est abstrait, j’entends. En fait, en animation, il y a un truc qui s’appelle « la pelure d’oignon », c’est quand on voit par transparence les étapes d’animations qui succèdent ou précède le dessin en cours. C’est toujours abstrait ? Alors, pour cela laissez-moi vous expliquer le principe même de l’animation, qui est de découper un mouvement par la succession rapide de dessins fixes. La persistance rétinienne fait que l’on a alors la sensation d’un mouvement. Mais pour faire ces dessins fixes, pour aider l’animateur, il peut compter sur la pelure d’oignon et voir l’image d’avant pour pouvoir dessiner la suivante. 


Du coup, dans la technique du stratastencil, on va voir 12 étapes d’animation en même temps, dans la profondeur ! 

On fait glisser les feuilles découpées espacées de 2cm, en gardant toujours le même écart. On décale toutes les images vers le fond, en supprimant la dernière feuille et en ajoutant une nouvelle à l’avant. 

Comme la technique n’était pas trop développée à l’époque, j’ai inventé mon propre système dont voici le plan : 

Deux tiges de métal

Deux tréteaux en bois

Du scotch

Des œillets

le découpage

 

Les feuilles sont imprimées, trouillotées et découpées à la main. 

Il faut bien penser à les numéroter, sinon on peut vite s’arracher les cheveux quand il faut faire des boucles ou si il manque une image… surtout pour un clip, il faut que l’image tombe à la seconde près. 

J’ai fait des encoches en forme de triangle pour pouvoir insérer les feuilles sur mes rails.

Après plusieurs essais, j’ai opté pour un papier Canson 180g. Parce que sur un papier trop fin, les découpes retombent comme des flans. Il faut que le dessin puisse rester droit, car la feuille est à la verticale. 

Mais faire une découpe à la main sur un papier au grammage aussi épais a été une erreur qui nous a coûté cher : c’est très difficile à découper et le geste a provoqué des douleurs articulaires dans tous les doigts qui s’y sont essayés ! Merci encore d’ailleurs, à tous ceux qui ont découpé ! Il y en a eu beaucoup, mais le plus gros du découpage revient à Marie-Pierre Hauwelle et à moi. L’occasion de passer plus de dix jours à papoter en découpant (mais donc, aussi, à soigner la tendinite qui allait avec).

Et puis, le pire, c’est que le rendu est tellement « parfait » qu’on ne m’a pas cru quand j’ai dit que c’était fait en papier découpé. ARG! 

Du coup, quand j’ai proposé cette technique pour le concours TFOU d’animation, j’ai utilisé un papier beaucoup plus fin, et j’ai travaillé en plus petit ! (Le film est aussi 7 fois plus court).

En tout cas, à l’époque, Pierre Dron qui était déjà mon coach / producteur / conjoint avait évoqué l’idée que l’on visualise la table de travail, les tréteaux. Mais j’avais refusé, car nous n’avions pas de studios, je tournais dans le salon et je ne voulais pas que ça fasse « cheap ». Mais je regrette, bien sûr. Car ça aurait permis de mieux comprendre ce qui était montré. 

Heureusement, il y a un making of. Aïe aïe aïe j’étais tellement mal à l’aise pour cette présentation ! Heureusement que David Basso qui tournait était un ami… Et quand on dit que plus on fait de vidéo, plus on est à l’aise : c’est vrai.

 

le making of

 
 

Des blogs du monde entier ont relayé la création du clip

Faites-le ressortir.

 

La technique du stratastencil : 

L’animation a été réalisée dans TVPaint, puis chaque image a été numérotée et imprimée. Ensuite, bien sûr, toutes les parties grisées ont été découpées, et enfin, les images ont été prises en photo sur les rails dont j’ai parlé plus haut.

L’installation technique avait deux néons, mais aujourd’hui il faudrait des bandes LED. Un appareil photo Canon Mark II (celui avec lequel je travaille encore dix ans après), des réflecteurs et une pièce sombre pour que la lumière ne fluctue pas. Si possible, il faut installer le banc-titre à hauteur de buste, debout, car il ne faut pas lever les bras trop haut ni être trop penché pour faire la prise de vue (pour ce film, cela a quand même pris une semaine, ça peut faire des courbatures). 

Et ensuite, patience et concentration, en s’aidant d’une fiche de tournage pour faire correspondre les images animées à celles photographiées. Le plus complexe étant d’insérer des boucles dans des séquences animées, car contrairement à l’animation ou le montage, il ne suffit pas d’ajouter une séquence, car les images précédentes sont encore à l’image ! 

Les douze images en place, on photographie dans Dragon stop motion.

Puis on retire la dernière image, on décale toutes les autres d’un cran vers l’arrière selon les encoches et on remet une nouvelle image devant. 

J’espère que c’est clair, n’hésitez pas à me poser des questions en commentaire s’il y a un flou à dissiper. 

La présentation du clip à Ana Dess s’est très bien passée, elle était ravie.

 

Le jour de la sortie du clip, Ana a fait une présentation en live au cinéma à Valence ! Et tout à coup ce que j’avais mis des semaines à dessiner, découper photographier, est apparu en grand ! Ça m’a semblé très imparfait, mais un professionnel de l’animation m’a dit qu’il pensait que ça avait été fait sur After Effect; eh non c’est tout du vrai ! 

interview en anglais

 

L’article original est ici

 

What’s the story of your film?

The song is about an old lady living in a mansion. The house and she have lived many stories through History. It is what I tried to say with the movie. When you cut a tree, you can see one circle a year. In the movie, I wanted to cut the house in order to see all the story ‘she’ lived.

What inspired you?

First I didn’t know how to express the idea of piling up all the stories. Then I saw the student film of the American Javan Ivey “my paper mind” and I realised it was exactly like that I could get it. With the stratastencil technique I could enter the house and see all the stories cut in slices.

thenewfilmmaker: Your video software ?

Hélène Ducrocq: First the storyboard and the animation are drawn in the TVPaint software. Then I print each frame on a Canson paper, and shoot it one by one with the Dragon stop motion software.

Film school or learning by doing?

I ended the French directing animation school “La Poudrière” in 2006. Then I learned by doing as many films as I could. I love to try new animation techniques. The music video is perfect for experimentations, I love that. With “Elle Demeure”, Ana Dess totally trusted me, that was very cool!

Who influenced your way of filmmaking?

Of course Michel Gondry for the crazy ideas with low budget!

thenewfilmmaker

La technique du stratastencil

 

Il s’agit de penser une animation qui puisse être lue dans la profondeur. Dit comme ça, c’est abstrait, j’entends. En fait, en animation, il y a un truc qui s’appelle « la pelure d’oignon », c’est quand on voit par transparence les étapes d’animations qui succèdent ou précède le dessin en cours. C’est toujours abstrait ? Alors, pour cela laissez-moi vous expliquer le principe même de l’animation, qui est de découper un mouvement par la succession rapide de dessins fixes. La persistance rétinienne fait que l’on a alors la sensation d’un mouvement. Mais pour faire ces dessins fixes, pour aider l’animateur, il peut compter sur la pelure d’oignon et voir l’image d’avant pour pouvoir dessiner la suivante. 

 

la technique

Du coup, dans la technique du stratastencil, on va voir 12 étapes d’animation en même temps, dans la profondeur ! 

On fait glisser les feuilles découpées espacées de 2cm, en gardant toujours le même écart. On décale toutes les images vers le fond, en supprimant la dernière feuille et en ajoutant une nouvelle à l’avant. 

Comme la technique n’était pas trop développée à l’époque, j’ai inventé mon propre système dont voici le plan : 

Deux tiges de métal

Deux tréteaux en bois

Du scotch

Des œillets

Du papier

Les feuilles sont imprimées, trouillotées et découpées à la main. 

Il faut bien penser à les numéroter, sinon on peut vite s’arracher les cheveux quand il faut faire des boucles ou si il manque une image… surtout pour un clip, il faut que l’image tombe à la seconde près. 

J’ai fait des encoches en forme de triangle pour pouvoir insérer les feuilles sur mes rails. 

Après plusieurs essais, j’ai opté pour un papier Canson 180g. Parce que sur un papier trop fin, les découpes retombent comme des flans. Il faut que le dessin puisse rester droit, car la feuille est à la verticale. 

Mais faire une découpe à la main sur un papier au grammage aussi épais a été une erreur qui nous a coûté cher : c’est très difficile à découper et le geste a provoqué des douleurs articulaires dans tous les doigts qui s’y sont essayés ! Merci encore d’ailleurs, à tous ceux qui ont découpé ! Il y en a eu beaucoup, mais le plus gros du découpage revient à Marie-Pierre Hauwelle et à moi. L’occasion de passer plus de dix jours à papoter en découpant (mais donc, aussi, à soigner la tendinite qui allait avec).

Le stratastencil

 

Et puis, le pire, c’est que le rendu est tellement « parfait » qu’on ne m’a pas cru quand j’ai dit que c’était fait en papier découpé. ARG! 

Du coup, quand j’ai proposé cette technique pour le concours TFOU d’animation, j’ai utilisé un papier beaucoup plus fin, et j’ai travaillé en plus petit ! (Le film est aussi 7 fois plus court)

 

Making of

En tout cas, à l’époque, Pierre Dron qui était déjà mon coach / producteur / conjoint avait évoqué l’idée que l’on visualise la table de travail, les tréteaux. Mais j’avais refusé, car nous n’avions pas de studios, je tournais dans le salon et je ne voulais pas que ça fasse « cheap ». Mais je regrette, bien sûr. Car ça aurait permis de mieux comprendre ce qui était montré. 

Heureusement, il y a un making of. Aïe aïe aïe j’étais tellement mal à l’aise pour cette présentation ! Heureusement que David Basso qui tournait était un ami… Et quand on dit que plus on fait de vidéo, plus on est à l’aise : c’est vrai.

le Stratastencil

L’animation a été réalisée dans TVPaint, puis chaque image a été numérotée et imprimée. Ensuite, bien sûr, toutes les parties grisées ont été découpées, et enfin, les images ont été prises en photo sur les rails dont j’ai parlé plus haut. L’installation technique avait deux néons, mais aujourd’hui il faudrait des bandes LED. Un appareil photo Canon Mark II (celui avec lequel je travaille encore dix ans après), des réflecteurs et une pièce sombre pour que la lumière ne fluctue pas. Si possible, il faut installer le banc-titre à hauteur de buste, debout, car il ne faut pas lever les bras trop haut ni être trop penché pour faire la prise de vue (pour ce film, cela a quand même pris une semaine, ça peut faire des courbatures). 

Et ensuite, patience et concentration, en s’aidant d’une fiche de tournage pour faire correspondre les images animées à celles photographiées. Le plus complexe étant d’insérer des boucles dans des séquences animées, car contrairement à l’animation ou le montage, il ne suffit pas d’ajouter une séquence, car les images précédentes sont encore à l’image ! 


Les douze images en place, on photographie dans Dragon stop motion.

Puis on retire la dernière image, on décale toutes les autres d’un cran vers l’arrière selon les encoches et on remet une nouvelle image devant. 

J’espère que c’est clair, n’hésitez pas à me poser des questions en commentaire s’il y a un flou à dissiper. 

première projection

La présentation du clip à Ana Dess s’est très bien passé, elle était ravie.

 

Le jour de la sortie du clip, Ana a fait une présentation en live au cinéma à Valence ! Et tout à coup ce que j’avais mis des semaines à dessiner, découper photographier, est apparu en grand ! Ça m’a semblé très imparfait, mais un professionnel de l’animation m’a dit qu’il pensait que ça avait été fait sur After Effect; eh non c’est tout du vrai ! 

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